La chenille aux yeux bleus - (première histoire d'Oxalys et Daphné )

05/21/2021

Un conte pour aborder la difficulté de grandir

Il était une fois une chenille aux yeux bleus... Des yeux immenses et tout mouillés. Sous ses pattes, des perles de larmes formaient une petite flaque où se reflétaient un morceau de ciel et un pétale rose.

"Mais regardez-moi! Je suis là!"

Elle pleurait, Daphné, la chenille, car, depuis bien longtemps, toutes ses amies étaient devenues de gracieux papillons. Ils exploraient le ciel vertigineux, tandis qu'elle rampait encore et encore, petit accordéon vert perdu dans le vert de l'herbe.

Après des efforts titanesques, elle atteignait les fleurs les plus hautes d'où elle tentait vainement d'attirer l'attention des majestueux papillons. Elle se dressait de toute sa hauteur, agitait ses petites pattes en criant : « Coucou les amis, c'est moi Daphné ! Vous me reconnaissez ? ». Mais ils étaient bien trop occupés à virevolter, à butiner, à dessiner dans le ciel des loopings audacieux. Personne ne la voyait, personne ne l'entendait. Les jours passaient et pas la moindre trace d'aile ! Seule et désespérée, Daphné ne parvenait pas à se transformer.

Toute ratée?

Ce jour-là, elle se laissa glisser de la corolle d'un tournesol, espérant que ses ailes pousseraient d'un coup pendant sa chute. Bien entendu, ce n'est pas ce qui arriva... Elle atterrit brutalement et se heurta la tête au sol. Une galaxie tournoya devant ses immenses yeux bleus tandis qu'une grosse bosse faisait son apparition sur son front, comme un troisième œil globuleux.

Daphné hurlait si fort qu'elle n'entendit pas la créature ailée se poser à ses côtés. Sentant une caresse inattendue sur ses poils hérissés, Daphné fit un bond prodigieux. Elle voulait s'enfuir, mais elle était comme paralysée. Qui était cet être fantastique qui lui tendait la main ? Elle n'avait jamais rien vu de pareil.

Et puis, d'une voix douce, la créature se présenta :

  • Bonjour, je m'appelle Oxalys. Je t'ai vu tomber.

La chenille, encore tout étourdie, sanglota :

  • Je voulais m'envoler. Je devrais déjà être un papillon, je suis toute ratée...

Oxalys déploya alors ses belles ailes.

  • Ce doit être très frustrant de ne pas y arriver ! Je vois que tu es très malheureuse. Viens faire un tour avec moi ! Je t'emmène !

Explorer l'immensité

Et Oxalys serra la chenille contre elle (ou contre lui ? Était-ce une fille ou un garçon ? Difficile à dire...) Ensemble ils décolèrent, quittant doucement le sol pour s'élever de plus en plus haut dans le ciel d'été. Ils atteignirent les premières prunes du verger, puis la cime du prunier... Ensuite, les champs et les prairies déroulèrent sous leurs yeux leurs habits d'Arlequin. Des routes sinuaient sur lesquelles se déplaçaient des voitures de plus en plus petites. Au loin, une nuée d'oiseaux animait les rares nuages. Daphné chavirait de bonheur, ivre de cette immensité à explorer ...

  • A gauche, Oxalys, à gauche, regarde là des moutons ! criait-elle. On dirait de grosses pelotes de laine ! Descends Oxalys ! Encore un peu plus bas, s'il te plaît ... Youhou ! Des montgolfières ! On va les rattraper ! Plus vite, Oxalys !
  • Tu n'es vraiment pas légère, Daphné ! disait Oxalys en riant.
  • Pourtant je t'assure que je ne mange que des feuilles vertes ! répondait Daphné.

Mais après quelques heures, Daphné murmura soudain :

  • Oxalys, laisse-moi descendre s'il te plaît ... C'est génial de voler avec toi, mais ce n'est pas ça que je veux... Je veux voler toute seule. Je veux être totalement libre, tu comprends ?

Prendre des forces pour voler de ses propres ailes

Alors, Oxalys déposa Daphné non loin d'un petit étang.

  • Bien sûr, que tu veux voler de tes propres ailes... répondit Oxalys. Ça se comprend! Mais tu as l'air épuisée. Si on se reposait un peu maintenant? On reparlera de tout cela plus tard...
  • Je suis très loin de mon abri de laurier rose et la nuit tombe ! Les feuilles de ces plantes on mauvais goût. En plus, je crois que je suis en train de tomber malade. Regarde, je change de couleur!

Daphné perdait en effet sa belle couleur verte. Elle brunissait.

  • Je crois qu'on va dormir ici, c'est plus prudent, dit Oxalys. Mais c'est bête, on aurait pu prendre un peu de laine ce matin pour t'emmitoufler. Maintenant les moutons sont trop loin.
  • Heu, j'ai bien une idée, hasarda Daphné. Mais... Comment dire ? C'est un peu gênant...
  • Gênant ?
  • Oui tu vois, j'ai parfois un drôle de truc... Des fils soyeux sortent... Ben tu vois quoi...
  • De ton derrière?
  • Mais non ! Daphné se mit à rire. Beurk ! Quelle idée, Oxalys! Non, ils sortent de ma bouche....! Mais ce n'est quand même pas très ragoutant!

Tout peut servir

Elle s'interrompit un instant puis reprit d'un ton mal assuré :

  • Je pourrais les utiliser pour me fabriquer un sac de couchage.
  • Hé ! Mais c'est une super idée ça ! Et moi je te raconterai une histoire pour que tu t'endormes sereinement.

Daphné assembla quelques feuilles avec des fils de soie et Oxalys entama son histoire...

  • Ferme les yeux et imagine que tu t'avances au bord de l'étang... La lune brille et se reflète dans l'eau noire, accompagnée de ses fidèles étoiles. Tout est calme et tranquille dans la nuit chaude. Tu as envie d'aller te baigner...
  • Mais je ne sais pas nager !
  • C'est juste une histoire, Daphné. Détends-toi et laisse-toi porter par ton imagination...

Plongée en eaux troubles

Tu rampes jusqu'à la rive et doucement tu approches la tête de l'eau. Tu t'avances avec un peu d'appréhension. L'eau est fraîche mais agréable. Tu t'y laisses doucement glisser. Tu te prélasses un peu sur le dos.

Après quelques minutes, tu t'éloignes de la berge. Tu as envie d'explorer le fond de l'étang. Oh ! Mais c'est très sombre là-dedans et un peu vaseux! Ça te fait frissonner mais tu plonges vers les profondeurs. Plus bas, encore plus bas...

Une fleur te dissimule au bec fouineur d'un héron insomniaque... Plus bas, encore plus bas...

Plus bas, encore plus bas

Attention ! Cache-toi ! Vite ! Une rainette vient de s'élancer de son plongeoir-nénuphar et elle se dirige droit vers toi ! Juste le temps de te faufiler sous une pierre.

Tu te crois à l'abri, mais horreur ! Deux yeux brillants te fixent. Tu manques de t'évanouir mais ce n'est qu'une petite crevette qui te regarde avec stupeur. Ouf ! Tu ressors. L'expédition continue.... Plus bas, encore plus bas...

Tu évites de justesse, au tout dernier moment, la gueule béante d'un lourd poisson à la mine patibulaire. Et tu descends plus bas, encore plus bas.

Ton cœur bat la chamade, tu te dis que tu devrais remonter très vite à la surface, mais tout à coup tu le vois ! Là, tout près, presque à portée de pattes. A moitié enseveli sous le sable, un morceau de verre luit faiblement d'une étrange clarté phosphorescente et soudain, il s'illumine ! Un éphémère rayon de lune vient de transpercer le voile de ténèbres pour le frapper de sa lumière.

Ramener l'essentiel à la surface

Tu t'en approches doucement. Tu le distingues mieux à présent. C'est un petit miroir face à main argenté, très joli, avec une branche de lierre finement ciselée.

Il faut le ramener à la surface, tu le sais. Mais il paraît si lourd et tu es tellement fatiguée ! Hélas, tu n'as pas le choix ! Tu dois le dégager, c'est vraiment important.

Tu rassembles tes dernières forces et tu t'arc-boutes, tu pousses, tu pousses, tu pousses... Et tu parviens à le faire bouger de quelques millimètres.

Tu tentes de tirer à présent, mais il glisse, tu n'as pas de prise.

Tu désespères, tu te mets à pleurer, jamais tu n'y parviendras.

C'est alors que tu aperçois une longue algue robuste. Elle oscille nonchalamment au gré du courant. Tu la découpes avec tes mandibules et tu la noues solidement au manche du miroir. Tu tires de toutes tes forces. Ca y est ! Cette fois le miroir s'extrait du sable, tu peux le remorquer vers les eaux lisses de la surface.

Tu le tractes courageusement jusqu'à la rive. Dieu que c'est dur ! Et dans un dernier effort, tu parviens, je ne sais comment à le hisser avec toi dans les herbes. Haletante, tu vas te cacher sous les feuillages avant de t'écrouler d'épuisement.

Métamorphose

Oxalys s'arrêta et jeta un regard attendri sur la chenille. Elle était endormie. A peine visible, elle avait pris la couleur de la terre.

  • Dors bien Daphné !

Le temps a passé... Nous voilà trois semaines plus tard.

Daphné émerge lentement d'un drôle de rêve. Son sac de couchage est un peu déchiré et elle est prisonnière d'une sorte d'enveloppe brune. Elle est totalement désorientée.

Oxalys qui n'aurait manqué ce réveil pour rien au monde est à ses côtés. En l'apercevant, Daphné sursaute.

  • N'aie pas peur, c'est moi, Oxalys. Souviens-toi Daphné... Nous avons fait un beau voyage et puis tu t'es endormie dans le cocon que tu as confectionné.
  • Oxalys ? baille Daphné.
  • Oui, tu es mon amie et je voulais être près de toi quand tu te réveillerais.
  • Où suis-je ? Je ne reconnais pas cet endroit...
  • Tu es loin de chez toi, nous avons beaucoup volé.
  • Volé ? Je me souviens que je ne sais pas voler.... Oh ! C'est quoi ça ? demande Daphné d'une voix ensommeillée. Ça me dit vaguement quelque chose...

Contemple qui tu es

Au milieu des feuilles, se reflètent un morceau de ciel et un pétale rose.

Oxalys s'empare avec stupéfaction du petit miroir qui gît à terre. Ça alors ! C'est incroyable ! Une branche de lierre argentée s'enroule autour du manche et une feuille se découpe délicatement sur le disque. Ce miroir est identique au miroir de son histoire ! Au dos de l'objet, sont gravés ces mots «Contemple qui tu es ».

D'une main un peu tremblante, Oxalys tend le miroir à Daphné.

Daphné y rencontre deux yeux immenses qu'elle connait bien. A part cela, elle ne reconnaît rien. Sa tête est encombrée de longues antennes tandis que des pattes graciles tentent de se frayer un chemin hors de l'enveloppe brune..

Ce corps, tout gluant, n'a rien de celui d'une chenille.

  • Qu'est-ce qu'il m'arrive ? C'est affreux ! crie Daphné, horrifiée.
  • J'imagine que c'est très déstabilisant de se trouver à ce point changée, dit Oxalys d'une voix douce.
  • Déstabilisant ? Épouvantable tu veux dire ! Je suis monstrueuse !
  • Non tu n'es pas monstrueuse. Tu es différente. Sors donc de ta chrysalide pour que nous puissions admirer tes ailes, papillon !
  • Hein ?!?
  • Mais oui, ça y est, tu t'es métamorphosée, Daphné ! Il ne te reste plus qu'à sortir de cette enveloppe.

Déployées

Dans un effort colossal, Daphné bande chaque muscle et la chrysalide se déchire sur toute sa longueur. Des ailes humides et toutes recroquevillées émergent... Petit à petit, Daphné les déploie. Tout doucement car elles sont encore très fragiles. Des couleurs hors du commun apparaissent : un dégradé de vert, une pointe de violet et des vagues roses qui révèlent une sorte de masque, le camouflage idéal pour tromper ses prédateurs ...

  • Que tu es belle Daphné, ou devrais-je dire Daphnis, murmure Oxalys.
  • Daphnis ?
  • Oui, Daphnis Nerii, c'est le nom du papillon de nuit dont tu portes les couleurs. Il est splendide et assez rare dans ce pays. Tu es un Sphinx, Daphné. Un Sphinx du 
Les traits de Daphné se détendent enfin.
  • Oh ! Mais... Je vais enfin pouvoir voler !
  • Minute papillon ! Encore un peu de patience. Tu vas encore devoir attendre quelques heures que tes ailes sèchent et ensuite oui, tu pourras t'élever dans le ciel.
  • Tu viendras avec moi ? demande Daphné.
  • Bien sûr! J'adore voler avec toi ! Et puis... J'ai peut-être encore quelques petites choses à t'apprendre pour que tu puisses à ton tour aider d'autres animaux dans leur métamorphose..., répond Oxalys dans un clin d'œil.
© 2021 Gaëlle Thibout Nivelles Belgique 
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